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Les multinationales gagnent des milliards pendant que les mineurs sud-africains triment dans les mines
mardi 2 octobre 2012, par
LES DESSOUS DE LA CEINTURE DE PLATINE
Le Courrier, SAMEDI 01 SEPTEMBRE 2012
Christophe KoesslerPostez un commentaire
AFRIQUE DU SUD • Le massacre de la mine de Marikana, perpétré le 16 août dernier, révèle la misère provoquée par un développement extractif incontrôlé dans la région de Rustenburg.
Des mines à perte de vue. Plusieurs dizaines d’exploitations opèrent dans la région de Rustenburg, connue comme la « ceinture de platine » en Afrique du Sud, employant des centaines de milliers de travailleurs. C’est dans l’une d’entre elles, exploitée par la firme Lonmin, qu’a été perpétré le massacre par la police de 34 mineurs le 16 août dernier, au cours duquel 78 autres ont été blessés par balles. Plus de 3000 des 28 000 ouvriers du site de la mine de Marikana étaient en grève depuis six jours. Malgré l’avis des deux syndicats majoritaires, et en dépit d’un conflit interne, les employés se sont décidés à arrêter le travail jusqu’à obtenir un doublement de leur salaire.
Cette détermination trouve sans nul doute des racines dans les conditions de vie désastreuses d’une bonne partie des mineurs de la région. Les conclusions de trois études complémentaires menées en 2007, 2011 et 2012 par une institution privée financée par les Eglises, la Bench Marks Foundation, ont de quoi alarmer1.
Le boom minier de ces quinze dernières années dans la région, accompagné de la libéralisation du secteur, ont entraîné des conséquences calamiteuses.
Cette affaire concerne directement la Suisse, puisque la multinationale Xstrata, domiciliée à Zoug, exploite elle-même plusieurs sites d’extraction dans la zone et possède 25% des actions de Lonmin.
Slums et xénophobie
A Rustenburg, le recours massif à une main-d’œuvre masculine extérieure, sans construction suffisante de logements pour les ouvriers, pèse lourdement sur les communautés locales. D’une part, parce que la pénurie d’habitations fait rage. Plus de 250 000 personnes vivent dans des bidonvilles (slums), sans électricité, ni eau courante ou canalisation des eaux usées. Ces lieux se sont multipliés avec le désinvestissement des compagnies depuis une dizaine d’années de leurs missions initiales en matière de logement. Désormais, il incombe aux travailleurs eux-mêmes de se trouver un habitat dans les slums ou les villages environnants, alors même que les collectivités locales ne disposent pas de moyens suffisants pour en construire.
Au-delà de ce secteur, les firmes externalisent tout : « Les mines ont transféré les coûts et les responsabilités pour le logement, la sécurité, l’alimentation et la santé sur les ressources déjà très limitées des autorités régionales et des travailleurs eux-mêmes », selon l’étude de 2007. La compétition pour les biens et l’emploi devient donc intense entre les habitants, et les locaux en attribuent la faute aux nouveaux arrivants, dont de nombreux Mozambicains venus tenter leur chance dans les mines. Résultat : la xénophobie fait des ravages, d’autant que, paradoxalement, le chômage sévit dans la région. « Le sous-emploi et la pauvreté sont des défis majeurs puisque l’augmentation de la population due à la migration excède la croissance économique », précisent les chercheurs de la Bench Marks Foundation.
Sur le plan de la santé, le dossier n’est pas plus reluisant. Le taux d’infection au VIH/Sida dans les slums approche les 60%, à comparer avec la moyenne nationale de 30%. Ce chiffre surprenant serait dû, entre autres, à l’arrivée massive d’hommes célibataires dans la région, combinée à la pauvreté et au manque de perspectives professionnelles pour les femmes vivant sur place, qui en inciteraient beaucoup à la prostitution. Un trafic du sexe forcé est aussi apparu dans la région.
Pluies acides
Par ailleurs, 80% des personnes ayant été examinées dans un centre de santé souffrent d’infections respiratoires. Causes principales : les très fortes émissions de poussières, de CO2 et de dioxyde de soufre dégagées par les mines, combinées à celles du charbon et du bois utilisées pour faire la cuisine dans les baraquements informels. Dans ce contexte, l’environnement subit aussi des dommages très importants.
Au-delà de la pollution de l’air, le rapport atteste de la présence de pluies acides, qui causeraient des dommages à l’agriculture, et de dégâts provoqués par l’extraction minière au niveau des nappes phréatiques et des rivières, menaçant l’approvisionnement en eau. Certains puits ont tari ou leurs eaux sont devenues salées. Des terres ont aussi été saisies aux communautés locales sans compensation.
Immenses profits
Dotés de beaux documents en papier glacé sur leur « responsabilité sociale et environnementale », les firmes minières de Rustenburg ne semblent pas appliquer leurs principes sur le terrain. « La responsabilité sociale des compagnies est un mensonge », titre l’étude de la fondation consacrée aux travaux des communautés villageoises pour défendre leurs intérêts face aux mines. Les rapports annuels des géants de l’extraction font, eux, plutôt la part belle à la « création de valeur pour les actionnaires ». Soit, à titre d’exemple, une bonne partie des 210 millions de dollars de profit pour Lonmin pour la seule Afrique du Sud, et des 5,8 milliards en 2011 pour Xstrata dans le monde. Mais cette dernière rassure : elle consacre 1% des bénéfices avant impôts et taxes à des projets en faveur des communautés locales... I