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Shell est incapable d’entretenir ses oléoducs au Niger

mercredi 26 septembre 2012, par Arturo

Pollué depuis un demi-siècle, le delta du
Niger paraît condamné à être le dépo-
toir des transnationales du pétrole. Hier
Amnesty International a de nouveau dé-
noncé son principal pollueur, à savoir
Shell, qualifiant sa dernière enquête in-
terne de véritable « fiasco ». Principale
major active au Nigeria, Shell a déjà été
condamnée dans ce pays à une amende
administrative de 5 milliards de dollars.
Mais Shell continue de récuser l’ac-
cusation. Au dire de la transnationale,
les pollutions subies par le delta du Niger
seraient principalement dues aux acti-
vités des voleurs de pétrole qui font ex-
ploser les oléoducs pour siphonner le
pétrole brut et le vendre au marché noir.
Depuis quelques années, des groupes
armés sabotent aussi des installations
pétrolières.
Des « prétextes », accuse Audrey
Gaughran, directrice internationale
d’Amnesty, qui dénonce « l’incapacité
de Shell à entretenir ses infrastruc-
tures ». Selon elle, le groupe pétrolier
anglo-néerlandais, principal opérateur
de la région, « nie l’évidence » : la derniè-
re pollution du champ de Bodo Creek
dans le Delta, découverte en juin, pro-
venait de la corrosion d’un oléoduc.
Cette zone avait déjà subi d’impor-
tantes fuites de pétrole en 2008 pour les-
quelles le géant pétrolier avait été pour-
suivi devant un tribunal londonien par
11 000 habitants de la région.
Shell Nigeria n’a pas souhaité réagir
aux allégations d’Amnesty. Celle-ci pré-
cise avoir demandé à la compagnie
américaine Accufacts d’examiner les
photographies de l’oléoduc de Bodo
Creek avant les fuites de juin. Selon Am-
nesty, Accufacts a noté « des manques de
couches de métal sur le dessus de l’oléo-
duc », ce qui est un « modèle très habi-
tuel » de corrosion.
Dans son enquête, « Shell avait indi-
qué que les fuites par endroit sem-
blaient être du sabotage et a complète-
ment nié l’effet de la corrosion », affirme
le communiqué.
En juillet, le Nigeria a infligé une
amende de 5 milliards de dollars (4,8
milliards de francs) à Shell pour une fui-
te de pétrole survenue sur une installa-
tion en mer du champ de Bonga en dé-
cembre 2011. Environ 40 000 barils de
brut s’étaient alors déversés dans le Gol-
fe de Guinée. La compagnie a contesté
l’amende et indiqué qu’il n’y avait pas
de preuves de sa responsabilité dans les
fuites.
Une enquête scientifique sans
précédent de l’ONU en 2011 avait établi
l’étendue et l’impact de la pollution pé-
trolière dans l’Ogoniland, au cœur du
delta du Niger. Elle estimait que cette
marée noire prolongée pourrait néces-
siter l’opération de nettoyage la plus
vaste jamais entreprise au monde et du-
rer une trentaine d’années.
Cette région marécageuse, située dans
le sud du Nigeria, a fait de ce pays le pre-
mier producteur subsaharien d’hydro-
carbures. Mais aussi l’un des plus pol-
lués. Le delta du Niger et ses 30 millions
d’habitants ont vu s’y déverser entre 9 et
13 millions de barils en un demi-siècle,
selon une étude réalisée en 2006 par des
experts nigérians, américains et britan-
niques. L’équivalent, d’après eux, de la
marée noire causée par le naufrage de
l’Exxon Valdez en Alaska en 1989,
chaque année pendant ces cinquante
ans.
Catastrophe économique pour les pê-
cheurs et les agriculteurs de la région,
ces marées noires à répétition ont
contaminé des centaines de sites, dont
certains présentent une menace sérieu-
se pour la santé. L’espérance de vie ici
est de 45 à 50 ans, contre 55 à 60 dans le
reste du pays, selon les autorités.
Frustrés de ne pas bénéficier de l’ex-
ploitation des hydrocarbures, qui
compte pour environ 80% des revenus
de l’Etat, de nombreux habitants diri-
gent leur colère contre l’industrie pétro-
lière. Des majors comme Chevron,
ExxonMobil ou Total opèrent aussi dans
le delta. I

BENITO PEREZ (AVEC L’ATS)

Source : Le Courrier, 4 août 2012