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L’austérité détruit la démocratie : Contre l’oppression « austéritaire »

vendredi 25 mai 2012, par Arturo

Contre l’oppression « austéritaire »

SAMEDI 05 MAI 2012
Ignacio Ramonet

« La meilleure forteresse des puissants, c’est l’inertie des peuples. » Machiavel. Comme un sentiment d’étouffement. C’est ce que ressentent de nombreux citoyens européens étranglés par tant de restrictions, de réductions et de coupes claires. Un sentiment accentué par la constatation que l’alternance politique ne modifie pas la « fureur austéritaire [1] » des gouvernants.

En Espagne, par exemple, la société avait été durement brutalisée par les remèdes de cheval ordonnés, dès mai 2010, par le président du gouvernement (socialiste) José Luis Rodriguez Zapatero. Aussi, lors des élections législatives du 20 novembre dernier, Mariano Rajoy, candidat du Parti populaire (PP, conservateur), promit-il le « changement » et le « rétablissement du bonheur ». Rien de moins. Mais dès le lendemain de son élection, la hache à la main, il se lança à son tour dans la plus dévastatrice destruction d’acquis sociaux de l’histoire d’Espagne.

On peut citer d’autres exemples, le Portugal notamment. Dans ce pays, en juin 2011, après avoir imposé quatre programmes très impopulaires de « discipline fiscale » et avoir dû se soumettre à un « plan de sauvetage » de la « troïka » [2], le premier ministre socialiste José Socrates perdit logiquement les élections. Bien qu’ayant violemment critiqué les mesures d’ajustement des socialistes, le nouveau premier ministre conservateur, Pedro Passos Coelho, affirma pourtant, dès son élection, qu’il respecterait les exigences de l’UE et appliquerait « une dose encore plus forte d’austérité »...

A quoi servent alors les élections si, dans des domaines essentiels – les questions économiques, financières et sociales –, les nouveaux gouvernants font la même politique que leurs prédécesseurs ? Comment ne pas en venir à douter du système démocratique lui-même ? Car chacun constate que, dans le cadre de l’UE, il n’y a pas de contrôle citoyen sur toute une série de décisions qui déterminent la vie des gens. Et que les exigences des marchés, des agences de notation ou des spéculateurs limitent sérieusement les principes de base de la République. Trop de gouvernants sont désormais convaincus que les marchés ont toujours raison, quelles qu’en soient les conséquences. A leurs yeux, les marchés sont la solution, c’est la démocratie le problème.

Les gens sont de plus en plus convaincus qu’il existe, au sein de l’UE, une sorte d’« agenda caché », dicté par les marchés, avec deux objectifs concrets :

  1. réduire au maximum la souveraineté des Etats – en matière budgétaire et fiscale ;
  2. démanteler ce qui reste de l’Etat providence – pour transférer au secteur privé éducation, santé et retraites. Preuve de l’existence d’un tel « agenda », les récentes déclarations de Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE) : « Le modèle social européen est mort – affirme-t-il – et quiconque ferait marche arrière dans la réduction des budgets sociaux serait immédiatement sanctionné par les marchés... Quant au Pacte budgétaire européen [3], il s’agit en réalité d’une avancée politique majeure parce que, grâce à ce Pacte, les Etats perdent une partie de leur souveraineté nationale. » Impossible d’être plus clair.

En fait, nous vivons sous régime de despotisme éclairé. Telle qu’elle fonctionne, la démocratie se définit moins par le vote ou la possibilité de choisir que par le respect obligatoire de règlements et de traités adoptés depuis longtemps ou en voie de ratification dans l’indifférence quasi générale. Ces textes sont devenus de véritables « prisons juridiques » d’où s’évader devient quasiment impossible.

Peut-on sortir de cette « oppression austéritaire » ? L’élection présidentielle française ouvre peut-être des perspectives. Non pas en raison des millions d’électeurs qui, exaspérés ou désespérés, ont voté au premier tour pour une extrême droite xénophobe. Mais parce que le candidat socialiste, François Hollande – favori selon la plupart des sondages –, a promis à cet égard du « changement ».

Conscient du fait que cette élection peut signifier une nouvelle donne pour l’Europe, Hollande réclame d’ajouter au Pacte budgétaire un volet de mesures en faveur de la croissance. Il demande également que la BCE prête directement aux Etats en difficulté (et pas aux banques privées) pour ouvrir au plus vite le chemin du redressement. Il propose aussi le financement d’infrastructures par des euro-obligations spécifiques (project bonds), le renforcement de la Banque européenne d’investissement (BEI), une véritable taxe sur les transactions financières (taxe Tobin), et la réaffectation des fonds structurels européens non
dépensés.

Même si ces demandes sont minimales, certainement insuffisantes et toujours accompagnées d’un discours ambigu sur la « flexibilisation du marché du travail » et sur la « modération sociale », Hollande égratigne le dogme établi par la chancelière allemande Angela Merkel, à l’origine des politiques d’ajustement de l’UE. Le socialiste français a par ailleurs averti que, s’il est élu et si l’Allemagne n’accepte pas de renégocier le Pacte budgétaire, Paris ne le ratifiera pas. C’est un changement non négligeable, si on compare cette position à l’attitude de soumission de Nicolas Sarkozy.
Comment les marchés réagiront-ils si Hollande est élu ? Deux scénarios sont possibles.

  1. La spéculation, comme Mario Draghi l’annonce, se déchaîne et attaque immédiatement la France ; Hollande fait marche arrière, finit par céder devant les marchés comme ses amis sociaux-démocrates Zapatero, Socrates et Papandréou, et, comme eux, il devient le dirigeant de gauche le plus détesté de l’histoire de France.
  2. Persuadé que, au sein de l’UE, rien ne peut se faire sans la France, deuxième économie de l’eurozone (et cinquième du monde), Hollande maintient sa position et engage l’épreuve de force. Il décide de s’appuyer sur la mobilisation des forces populaires (à commencer par celles, enthousiastes, rassemblées autour du Front de gauche) et reçoit alors le soutien – implicite ou explicite – de plusieurs gouvernements européens (de gauche comme de droite) également partisans de politiques de relance et de croissance. L’Allemagne cède. La spéculation bat en retraite. La volonté politique l’emporte. Prouvant que, dans une démocratie, quand cette volonté rejoint le mandat du peuple, nul objectif n’est hors de portée.

Source : http://www.lecourrier.ch/98412/contre_l_oppression_austeritaire


[1Christophe Ventura, « Dettes souveraines, mécanisme européen de stabilité, pacte budgétaire. L’Europe dans la mâchoire austéritaire », www.medelu.org

[2La « troïka » est constituée de la Banque centrale européenne (BCE), de la Commission européenne et du Fonds monétaire international (FMI).

[3Ce Pacte oblige chaque pays signataire à inscrire dans sa Constitution une limite – la fameuse « règle d’or » – au déficit public fixée à 0,5% du produit intérieur brut.