Accueil > Analyses > Comment l’Islande a refusé de se soumettre à la dictature des marchés

Comment l’Islande a refusé de se soumettre à la dictature des marchés

mardi 8 mai 2012, par Arturo

“Le fait qu’une seule émission de radio italienne (Radio Italia) ait parlé de la révolution en cours en Islande est un témoignage impressionnant du peu que les médias veulent bien nous dire sur le reste du monde. Les Nord-Américains ont pu se rappeler que, au début de la crise financière de 2008, l’Islande s’était déclarée en faillite. Les raisons n’en ont été abordées que très superficiellement, et depuis, ce membre peu connu de l’Union européenne est retombé dans l’oubli. Du fait que les pays européens s’effondrent les uns après les autres, mettant l’euro en danger, avec des retombées pour tout le monde, la dernière chose que l’oligarchie dominante souhaite est que le cas de l’Islande se transforme en exemple.

En voici à présent les raisons :

Cinq années d’un régime purement néolibéral ont fait de l’Islande (320 mille habitants et pas d’armée) l’un des pays les plus riches du monde. En 2003, toutes les banques du pays ont été privatisées et, dans le but d’attirer les investisseurs étrangers, elles ont offert des lignes de crédit dont les coûts très bas ont permis des taux de rendement relativement élevés. Les comptes appelés “icesave” attirèrent de nombreux petits investisseurs britanniques et hollandais. Mais, au fur et à mesure que les investissements s’accroissaient, la dette des banques étrangères s’accroissait aussi. En 2003 la dette de l’Islande était égale à 200% de son PIB mais en 2008 elle en atteignait les 900%. La crise financière de 2008 donna le coup de grâce. Les trois principales banques islandaises – Landbanki, Kapthing et Glitnir – firent alors faillite et furent nationalisées, tandis que la couronne islandaise perdit 85% de sa valeur par rapport à l’euro. A la fin de l’année, l’Islande se déclara en faillite.

Contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre, la crise offrit aux Islandais l’opportunité de récupérer leurs droits souverains, par un processus de démocratie directe participative, lequel a finalement abouti, grâce à une persévérance inflexible, à une nouvelle Constitution.

Geir Haarde, le premier ministre du gouvernement de coalition social-démocrate négocia un prêt de 2,1 milliards* de dollars, auquel les pays nordiques rajoutèrent 2,5 milliards de plus. Néanmoins, la communauté financière étrangère fit pression sur l’Islande pour imposer des mesures drastiques. Le FMI et l’Union Européenne voulaient prendre le contrôle de sa dette, en arguant qu’il s’agissait du seul moyen pour que le pays s’en acquitte à l’égard des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne, lesquels s’étaient engagés à rembourser leurs citoyens.

Les protestations et les désordres se poursuivirent et, finalement, contraignirent le gouvernement à démissionner. Les élections, anticipées à avril 2009, aboutirent à la victoire d’une coalition de gauche qui condamnait le système économique néo-libéral. Mais, dans l’immédiat, cette coalition céda aux pressions exercées sur l’Islande afin qu’elle s’acquittât de ses 3,5 milliards d’euros de dette. Cela impliquait que chaque citoyen islandais payât 100 euros par mois (près de 130 dollars) pendant 15 ans, avec un taux d’intérêt de 5,5%, alors que la dette avait été contractée par le secteur privé. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

Ce qui s’est passé ensuite est extraordinaire. La croyance que les citoyens devaient payer pour les erreurs d’un monopole financier, et que toute une Nation devrait se voir imposer le paiement de dettes privées, tomba en morceaux. Ce qui aboutit à une transformation de la relation entre les citoyens et leurs institutions politiques, et conduisit finalement les dirigeants de l’Islande à se ranger du côté de leurs électeurs. Le chef de l’Etat, Olafur Ragnar Grimsson, se refusa à ratifier la loi qui rendait les citoyens islandais responsables de la dette bancaire d’Etat, et accepta les appels lancés pour un référendum.

Evidemment, la communauté internationale ne fit qu’augmenter la pression sur l’Islande. La Grande-Bretagne et les Pays-Bas la menacèrent de représailles terribles et d’isoler le pays. Pendant que les Islandais se rendaient aux urnes, les banquiers étrangers menacèrent de bloquer toute aide du FMI. Le gouvernement Britannique menaça de geler les épargnes et les comptes courants islandais. Comme le disait Grimsson, “nous avons dit que si nous nous refusions à accepter les conditions de la communauté internationale nous deviendrions le Cuba du Nord. Mais, si nous avions accepté, nous serions devenus le Haïti du Nord”. Combien de fois ai-je écrit que, quand les Cubains voient l’état lamentable de leurs voisins d’Haïti, ils peuvent se considérer comme chanceux ?

Lors du référendum de mars 2010, 93% de la population votèrent contre le remboursement de la dette. Le FMI congela immédiatement ses prêts. Mais la révolution (qui n’avait pas encore été retransmise aux USA) ne se laissa pas intimider. Avec l’appui d’une population furieuse, le gouvernement poussa à des enquêtes civiles et criminelles concernant les responsables de la crise financière. Interpol émit un ordre international de mise en détention pour l’ex-président de Kaupthing, Sigurdur Einarsson, ainsi que pour les autres banquiers impliqués qui quittèrent le pays.

Mais les Islandais n’en restèrent pas là : Il fut décidé de rédiger une nouvelle Constitution pour libérer le pays du pouvoir exagéré de la finance internationale et de l’argent virtuel. Celle qui était en vigueur avait été écrite à l’époque où l’Islande avait obtenu son indépendance du Danemark, en 1918, l’unique différence avec la Constitution danoise étant que le mot “Président” avait été remplacé par celui de “Roi”.

Pour écrire la nouvelle Constitution, le peuple islandais élut 25 citoyens parmi 522 adultes qui n’appartenaient à aucun parti politique, mais qui étaient recommandés par au moins trente personnes. Ce document ne fut pas l’oeuvre d’une poignée de politiciens, mais fut rédigé sur internet. Les réunions des électeurs furent diffusées en ligne, et les citoyens purent envoyer leurs commentaires et suggestions, du fait qu’ils étaient les témoins de ce document au fur et à mesure qu’il prenait forme. La Constitution qui émergera de ce processus de démocratie participative sera présentée pour approbation au Parlement, après les prochaines élections.

Certains lecteurs se souviendront de l’effondrement agraire de l’Islande au IXième siècle, mentionné dans le livre de Jared Diamond. Aujourd’hui, ce pays est en train de se remettre de son effondrement financier mais d’une manière totalement opposée à ce qui était considéré comme inévitable. Comme l’a confirmé hier la nouvelle directrice du FMI, Chistine Lagarde, à Fared Zakrie. Ils dirent au peuple grec que la privatisation de son secteur public était l’unique solution. L’Italie, L’Espagne et le Portugal font face à la même menace.

On devrait regarder du côté de l’Islande. En refusant de se soumettre aux intérêts étrangers, le pays a indiqué clairement que le peuple est souverain.

Voilà pourquoi cela n’apparaît plus dans les actualités.”

Deena Stryker, blogs.mediapart.fr, le 25 février 2012

Source : http://olivierdemeulenaere.wordpress.com/2012/03/23/revolution-
populaire-en-islande/